L’essentiel sur le volet II du sixième rapport du Giec

Par Magali Reghezza

Sa bio en quelques mots

Magali Reghezza est membre du Haut Conseil pour le Climat depuis décembre 2019. Agrégée et docteur en géographie et aménagement, maître de conférence habilitée à diriger des recherches à l’ENS Ulm et membre du laboratoire de géographie physique de Meudon.

Ses recherches et publications portent sur la géographie politique et sociale de l’environnement. Elle travaille en particulier sur la réduction des risques de catastrophe, la vulnérabilité, la résilience et l’adaptation des systèmes socio-écologique aux menaces environnementales globales, en particulier le changement climatique et l’aménagement durable des territoires.

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Géographe et membre du Haut Conseil pour le Climat, Magali Reghezza présente les principaux points du volet II du dernier rapport du Giec. Publié fin février 2022, ce deuxième volet porte sur les impacts du réchauffement climatique et l’adaptation.

Le tome II du sixième rapport du Giec nous dit avec certitude que le climat change et a déjà changé du fait de l’activité humaine. Ses conséquences, parfois irréversibles, sont désormais perceptibles, qu’il s’agisse de l’augmentation des extrêmes, qui dépasse les effets de la seule variabilité naturelle, ou des dynamiques plus lentes : remontée du niveau marin, acidification des océans, fonte du pergélisol.

L’émergence des risques composites

Les impacts du réchauffement global se combinent et interagissent. Par exemple, le radoucissement hivernal provoque un débourrage précoce des bourgeons, vulnérables aux gelées précoces. Les tempêtes et la remontée du niveau marin ont des effets cumulés sur le recul du trait de côte. 

De plus, facteurs climatiques et non-climatiques se conjuguent pour créer des risques composites. Pollutions, surexploitation des ressources locales, espèces invasives, etc. s’ajoutent au climat qui change et détruisent les écosystèmes, avec des conséquences, par rétroaction, sur les dynamiques climatiques, hydrologiques, pédologiques. Crises du climat et de la biodiversité sont ainsi étroitement liées. Leurs impacts respectifs s’amplifient mutuellement.

Des effets dramatiques sur les sociétés humaines

Ces transformations rapides de nos environnements ont des effets dramatiques sur les sociétés humaines. Le rapport indique qu’à horizon 2040, tous les risques augmentent de manière significative et en fonction du niveau de réchauffement planétaire.

Dans les cinq « motifs d’inquiétude » définis par le GIEC, au-delà de 2°, les niveaux de risque deviennent élevés à très élevés. Les pertes et dommages sont certes inégalement distribués à la surface du globe, mais nous serons tous concernés. D’ici 2100, 50 à 75 % de la population mondiale pourrait être exposée à des périodes de « conditions climatiques potentiellement mortelles » (chaleur et humidité extrêmes létales).

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Dès à présent, les sociétés humaines sont confrontées à « des risques imminents généralisés, substantiels et potentiellement irréversibles ». Chaque +0,5°C de réchauffement supplémentaire augmentera d’un tiers le risque climatique mondial. 3,3 à 3,6 milliards d’humains vivent déjà dans des conditions qui les rendent très vulnérables.

Car, et c’est un point essentiel, c’est la vulnérabilité des individus, des sociétés, des territoires qui créée les conditions propices à des crises majeures. L’ampleur des dommages est étroitement corrélée aux vulnérabilités, actuelles et héritées, qui limitent les capacités d’adaptation, et donc de résilience. Ces vulnérabilités sont « exacerbées » par des inégalités de différente nature, qui interagissent et se renforcent à cause de la perturbation du système climatique.

Les ajustements au coup par coup sont insuffisants

Malgré ces conclusions, et à l’opposé d’une approche catastrophiste, le GIEC démontre que, face à ces bouleversements inédits dans l’histoire de l’Humanité, l’adaptation est efficace pour réduire, voire prévenir les risques de pertes et dommages. Mais elle doit être proactive et anticipative, et non plus réactive et curative.

Dans un climat qui change, les ajustements au coup par coup sont insuffisants. Seules des transformations structurelles, avec une bifurcation des systèmes sociaux-économiques, préserveront nos capacités de résilience. L’adaptation incrémentale doit donc être adossée à l’adaptation transformationnelle et utiliser l’ensemble des leviers d’action, au-delà de l’innovation technique ou du changement de comportement individuel, en recherchant les co-bénéfices.

Éviter le piège de la mal-adaptation

Point capital, le GIEC alerte sur la mal-adaptation, qui augmente les risques qu’elle entend réduire ou prévenir. De manière un peu contre-intuitive, l’analyse de risque doit intégrer non seulement la menace, l’exposition et vulnérabilité, mais aussi les solutions d’atténuation et d’adaptation.

La mal-adaptation découle souvent des ajustements purement réactifs et des diagnostics en silo, qui ratent les effets cascades et leurs impacts négatifs à moyen et long terme. Elle naît souvent de la conviction que LA solution viendra de l’innovation technologique. Cette croyance ne fait qu’encourager le statu quo et déplacer le problème dans le temps (report de l’effort sur les générations suivantes) et l’espace (report des coûts sociaux-environnementaux vers d’autres territoires), sans s’attaquer aux racines de nos fragilités, qu’il s’agisse des modes de production et de consommation, de l’accès équitable aux ressources, des contraintes sur le choix des ménages, des entreprises, des collectivités locales, de la relation entre accumulation et épanouissement individuel, de la tension entre imaginaire de l’abondance et tempérance inéluctable (mais non régressive) dans un mode fini. 

La question est d’autant plus cruciale que la mal-adaptation affecte particulièrement les groupes et individus fragilisés, exclus, marginalisés. Pour s’en prémunir, les solutions réversibles et sans regrets, c’est-à-dire celles qui laissent des options ouvertes, doivent être privilégiées. Les dispositifs d’adaptation doivent plus largement être évalués à l’aune de leurs co-bénéfices, qui peuvent varier dans le temps et selon les contextes locaux, nationaux, mondiaux.

Les limites faibles et fortes de l’adaptation

Pour sortir de l’injonction incantatoire à s’adapter, le GIEC revient également sur faisabilité de l’adaptation. Le rapport pose l’existence de deux sortes de limites, qui sont susceptibles de rendre l’adaptation inefficace. Les limites faibles désignent le fait que des solutions existent, mais ne sont pas accessibles pour des raisons techniques, financières, juridiques, (géo)politiques, etc. Ces limites faibles peuvent être dépassées par l’innovation, l’aide au développement, la coopération, etc.  Les limites fortes désignent au contraire une situation où la contrainte est telle, qu’elle empêche de rester sous des niveaux de risque acceptable. Il en existe trois : le niveau de réchauffement, l’effondrement de la biodiversité, les inégalités et leurs corollaires. 

Au-delà d’1,5°, les écosystèmes, mais aussi de plus en plus d’organisations sociales, seront poussées aux limites de leur capacité d’adaptation. Et au rythme d’émission actuel de GES, 1,5°, c’est dans dix ans. Cela signifie concrètement que l’adaptation ne peut servir d’alibi à l’inaction climatique. Adaptation et atténuation vont de pair. 

La biodiversité est également une limite forte, car notre vie sur terre dépend des ressources qu’elle offre. Au-delà des services écosystémiques, le GIEC montre le potentiel des solutions d’adaptation fondées sur la nature, qui offrent aussi des co-bénéfices en termes d’atténuation (puits de carbone naturels par exemple) et de préservation de la biodiversité. 

Le rapport insiste sur le fait que chaque dépassement d’une limite planétaire diminue la capacité d’adaptation sociale, collective et individuelle. Mais il existe des « social tipping point », des points de bascule sociétaux dont le rôle est encore mal connu, mais bien identifié.

La nécessité d’une transition juste

Le rapport démontre que seule l’atteinte des objectifs de développement durable et de bien-être humain peuvent augmenter nos capacités d’adaptation. En retour, la poursuite du développement humain dépend de notre capacité à atténuer le réchauffement et à préserver la biodiversité. Le développement, pour être durable, doit être résilient au climat et la transition, pour être efficace, doit être juste.

La préservation de notre bien-être, notre sécurité et notre souveraineté ne peuvent plus être pensées indépendamment de notre résilience au changement climatique actuel et futur. L’atténuation du réchauffement et la préservation de la biodiversité sont les conditions sine qua non de la résilience des sociétés humaines, qui dépend également de notre capacité à réduire les inégalités.